La question du tourisme social au sein de l’UE

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Après la question du dumping social – certaines entreprises délocalisant leurs activités dans un pays « moins-disant » socialement afin de limiter les coûts – se pose la problématique inverse : celle du tourisme social. Certains ressortissants de l’UE seraient en effet tentés de s’installer dans un pays « mieux-disant » socialement afin de bénéficier de prestations sociales avantageuses ; telle est l’affaire traitée par la CJUE dans son arrêt du 11 novembre 2014.


Mme Dano et son fils, tous deux de nationalité roumaine, vivent en Allemagne. La ville de Leipzig leur a d’ailleurs délivré, en tant que ressortissants de l’Union Européenne (UE), une attestation de séjour à durée illimitée («Unbefristete Freizügigkeitsbescheinigung»).

Outre le bénéfice des prestations pour enfant à charge («Kindergeld» – 184 euros par mois) et la perception d’une avance sur pension alimentaire (133 euros par mois), Mme Dano et son fils demandent au Jobcenter Leipzig l’octroi des prestations de l’assurance de base pour les demandeurs d’emploi au titre du SGB II. Or, il s’avère que Mme Dano ne semble pas chercher d’emploi alors même que son aptitude à travailler n’est pas contestée.

Dans ces conditions, le Jobcenter Leipzig refuse l’octroi des prestations de l’assurance de base à Mme Dano et à son fils.


Mme Dano et son fils introduisent un recours contre la décision du Jobcenter Leipzig auprès de la juridiction du Sozialgericht Leipzig. La réponse de cette dernière est tranchée : Mme Dano et son fils n’ont pas droit aux prestations de l’assurance de base. Toutefois, la juridiction exprime des doutes quant à la conformité du droit allemand avec les dispositions du droit de l’UE et notamment de sa conformité avec le règlement n°883/2004 (art. 4), avec le principe général de non‑discrimination (TFUE, art. 18) et avec le droit de séjour général (TFUE, art. 20). Le Sozialgericht Leipzig décide donc de surseoir à statuer et de poser à la Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE) des questions préjudicielles.


Le principal problème posé est le suivant : une réglementation nationale peut-elle exclure du bénéfice de certaines prestations sociales les ressortissants d’autres États membres, sans encourir le grief de discrimination ?


Selon la CJUE, un citoyen de l’Union – pour ce qui concerne l’accès à des prestations sociales – ne peut réclamer une égalité de traitement avec les ressortissants de l’État membre d’accueil que si son séjour sur le territoire de l’État membre d’accueil respecte les conditions de la directive 2004/38. Or, l’objectif de ladite directive vise à éviter que les citoyens de l’UE, ressortissants d’autres États membres, deviennent une charge déraisonnable pour le système d’assistance sociale de l’État membre d’accueil (Directive 2004/38, considérant 10).

Dès lors, afin d’apprécier si des citoyens de l’UE – économiquement non actifs – peuvent prétendre à une égalité de traitement avec les ressortissants de l’État membre d’accueil pour ce qui concerne le droit à des prestations sociales, il y a lieu d’examiner si le citoyen de l’UE – économiquement non actif – dispose pour lui et les membres de sa famille de ressources suffisantes (Directive 2004/38, art. 7, § 1, b).

Par conséquent, pour la CJUE, « l’existence éventuelle d’une inégalité de traitement entre les citoyens de l’Union ayant fait usage de leur liberté de circulation et de séjour et les ressortissants de l’État membre d’accueil à l’égard de l’octroi des prestations sociales est une conséquence inévitable de la directive 2004/38. […] Un État membre doit donc avoir la possibilité de refuser l’octroi de prestations sociales à des citoyens de l’Union économiquement inactifs qui exercent leur liberté de circulation dans le seul but d’obtenir le bénéfice de l’aide sociale d’un autre État membre alors même qu’ils ne disposent pas de ressources suffisantes pour prétendre au bénéfice d’un droit de séjour » (Décision commentée, points 77 et 78).


En l’espèce, Mme Dano et son fils ne disposent pas de ressources suffisantes. Ils ne peuvent pas réclamer un droit de séjour dans l’État membre d’accueil en vertu de la directive 2004/38. La réglementation allemande est donc en droit de leur refuser l’octroi des prestations de l’assurance de base pour les demandeurs d’emploi au titre du SGB II, sans encourir le grief de discrimination.


Pour conclure, afin d’éviter le tourisme social, une réglementation nationale peut effectivement exclure du bénéfice de certaines «prestations spéciales en espèces à caractère non contributif» les ressortissants d’autres États membres qui ne bénéficient pas d’un droit de séjour en vertu de la directive 2004/38 dans l’État membre d’accueil.


Pour aller plus loin…

– CJUE, Grande chambre, 11 nov. 2014, Dano c/ Jobcenter Leipzig 

– Directive 2004/38 relative au droit des citoyens de l’Union et des membres de leurs familles de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres, 29 avril 2004

–  Règlement n°883/2004 portant sur la coordination des systèmes de sécurité sociale, 29 avril 2004

– Traité sur le Fonctionnement de l’Union Européenne (TFUE)

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