La reconnaissance française du mariage homosexuel et l’ordre public international

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« A chacun sa famille, à chacun son droit » est une célèbre formule du doyen Jean Carbonnier (Jean Carbonnier, Essais sur les lois, éd. Defrénois, 1979, p. 167). Dans cette optique, le droit ne doit plus imposer de modèle familial aux individus, mais leur laisser le choix des options dans leurs rapports familiaux et conjugaux. En effet, selon cet auteur, la France est un pays divisé de croyances et de religions, divisé par les cultures qui s’inscrivent dans ces croyances, divisé aussi par les idéologies et les traditions. Un seul modèle, par conséquent, ne peut suffire à tous et le rôle du législateur n’est pas de privilégier un schéma familial de préférence à un autre, mais d’ouvrir la porte à la diversité en mettant en place une sorte de législation « à la carte » dans laquelle chacun trouvera ce qui correspond à sa propre conception de la vie familiale (Yvonne Flour, Le droit de la famille au début du XXIe siècle : évolution et perspectives, http://aes-france.org/IMG/pdf/AES-Yvonne_Flour.pdf).

Il n’en reste pas moins que la question du mariage homosexuel demeure un sujet sensible. Certes, le mariage homosexuel a fini par être reconnu par le législateur français, mais la Cour de cassation doit encore résoudre d’épineuses problématiques relevant de l’ordre public international. Le débat relatif au mariage homosexuel arrive à son épilogue.


Mariage homosexuel et Droit français. Jusqu’à la loi pour le mariage pour tous, la différence de sexe était une condition de validité du mariage en droit interne. Il est possible de rappeler l’arrêt rendu le 13 mars 2007 par la première chambre civile de la Cour de cassation qui rejette, par une formule sibylline, le mariage entre des personnes de même sexe.

En l’espèce, le maire de Bègles procède, le 5 juin 2004, au mariage d’un couple homosexuel et le transcrit, par la suite, sur les registres de l’état civil malgré l’opposition formulée par le procureur de la République. Suite à ces faits, le procureur de la République notifie l’opposition à la célébration du mariage et à la transcription de ce dernier sur les registres de l’état civil auprès du Tribunal de grande instance de Bordeaux. Cependant, le maire de Bègles procède tout de même au mariage.

La Cour d’appel de Bordeaux annule le mariage (Bordeaux, 19 avr. 2005, n° 04/04683, D.2005. Jur. 1687, note Agostini, et D. 2006. Pan. 1414, obs. Lemouland et Vigneau ; RTD civ. 2005. 574, obs. Hauser ; Dr. fam. 2005. 125, note Azavant). Le couple se pourvoit alors en cassation afin de faire reconnaître la validité de leur union. Les demandeurs au pourvoi font grief aux juges du fond d’avoir annulé le mariage alors que la différence de sexe est, selon eux, étrangère aux conditions posées par le Code civil et qu’une telle exigence porte tout à la fois atteinte à la vie privée ainsi qu’au droit de se marier et de fonder une famille au sens des articles 8, 12 et 14 de la Convention européenne des droits de l’homme et de l’article 9 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne.

Dans un arrêt attendu, la Haute juridiction rejette le pourvoi et considère que la différence de sexe est bien une condition de validité du mariage (Cass. civ. 1ère 13 mars 2007, n° 05-16.627, D. 2007. AJ. 935, obs. Gallmeister). Sur ce point, la Cour de cassation fait d’ailleurs une réponse d’une concision tranchante en affirmant que, selon le droit français, « le mariage est l’union d’un homme et d’une femme » et que cela n’est en contradiction ni avec les dispositions de la Convention européenne des droits de l’homme ni avec celles de la Charte des droits fondamentaux laquelle, au surplus, n’a pas force obligatoire en France.

Un tel arrêt ne serait plus possible aujourd’hui. Promesse du candidat François Hollande, la loi ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe est publiée au Journal officiel le 18 mai 2013 (Loi n° 2013-404 du 17 mai 2013 ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe, JORF n°0114 du 18 mai 2013 page 8253). Cette loi permet aux couples homosexuels de se marier et leur ouvre également la voie de l’adoption.

Au niveau du Droit International Privé, la loi dite du mariage pour tous reconnaît les unions entre deux personnes du même sexe célébrés à l’étranger, avant son entrée en vigueur. Elle rend aussi possible la célébration du mariage en France lorsque les futurs époux, dont l’un au moins a la nationalité française, vivent dans un pays qui n’autorise pas le mariage homosexuel et, dans lequel, les autorités diplomatiques et consulaires françaises ne peuvent pas procéder à la célébration. Cependant, la bi-nationalité au sein d’un couple homosexuel emporte encore quelques difficultés ainsi qu’en témoigne l’arrêt de la Cour d’appel de Chambéry du 22 octobre 2013.


Mariage homosexuel et Ordre public international. Un couple homosexuel bi-national décide de se marier. L’un est Français, l’autre est Marocain. Sur le papier, cela ne pose aucune difficulté. L’article 143 du Code civil dispose désormais que le mariage est contracté par deux personnes de sexe différent ou de même sexe et la liberté de se marier est un droit fondamental protégé faisant partie du bloc des libertés personnelles suivant la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme. En outre, la loi française sur le mariage pour tous a une vocation universelle. L’article 202-1 alinéa 2 du Code civil souligne, en effet, que deux personnes de même sexe peuvent contracter mariage lorsque, pour au moins l’une d’elles, soit sa loi personnelle – celle du pays d’origine, soit la loi de l’Etat sur le territoire duquel elle a son domicile ou sa résidence le permet.

Cependant, le ministère de la justice, dans une circulaire du 29 mai 2013, indique que cette règle ne s’applique pas lorsque l’un des époux a la nationalité d’un pays hostile au mariage homosexuel et que ce pays a signé avec la France une convention qui place le statut personnel de ses ressortissants sous la loi nationale. Tel est le cas du Maroc, avec qui la France a signé une convention bilatérale – le 10 août 1981 – prévoyant que les ressortissants de chaque pays obéiraient à leur loi nationale pour se marier. Or, la loi marocaine prohibe le mariage des couples homosexuels. L’article 489 du Code pénal marocain réprime les relations homosexuelles et un certificat de coutume indique, qu’au Maroc, le mariage est un contrat légal par lequel un homme et une femme consentent à s’unir en vue d’une vie conjugale commune et durable. Pour la chancellerie, compte tenu de la supériorité des traités sur la loi française, le mariage mixte n’est pas possible dans un tel cas de figure.

Le mariage homosexuel entre un français et un marocain est-il possible alors que le Maroc ne reconnaît pas une telle union ? La Cour d’appel de Chambéry répond de manière positive. La loi marocaine s’applique pour les Marocains de France sauf si elle est « manifestement incompatible avec l’ordre public ». Or, la loi dite du mariage pour tous a été validée par le Conseil constitutionnel et s’intègre au nouvel ordre public international (Conseil constitutionnel, décision n° 2013-669 DC du 17 mai 2013). Le contraire entraînerait une discrimination certaine selon les juges du fonds.

La mise en avant de l’ordre public international est logique. L’ordre public est un correctif exceptionnel qui permet d’écarter la loi normalement compétente lorsque cette dernière contient des dispositions dont l’application est jugée inadmissible par le tribunal saisi, car heurtant les conceptions juridiques ou sociales fondamentales du for. Cet ordre public international est imprécis. Il est variable dans le temps, dans l’espace, dans sa portée, dans son objectivité et dans ses effets (Cass. civ, 17 avril 1953, arrêt RivièreRev. crit. 1953, 412, note H. Batiffol, JDI 1953, 860, note Plaisant, J.C.P. 1953, II, 7863, note Buchet). Néanmoins, au regard de l’évolution du droit français quant à la question du mariage homosexuel, le doute n’est plus permis.

En effet, l’ordre public produit pleinement ses effets quand il s’agit de créer de nouveaux droits ; ici, le droit de se marier pour les couples homosexuels. Dans ce cas, comme l’indique la Cour d’appel de Chambéry, la loi étrangère est évincée au profit de la loi française. L’ordre public peut également produire des effets atténués quand il s’agit de reconnaitre les effets en France de droits régulièrement acquis à l’étranger. Dans cette hypothèse, l’ordre public est neutralisé et ne peut s’opposer à la reconnaissance de ce droit, sauf si la situation présente des liens particulièrement étroits avec la France (il s’agit de l’ordre public de proximité). Ainsi, un mariage polygamique valablement contracté à l’étranger restera sans effet sur le territoire français (Cass. civ, 6 juillet 1988 n° 85-12.743). En revanche, avant l’adoption de la loi pour le mariage pour tous et alors même qu’il n’était pas encore possible de se marier entre homosexuels en France, le mariage homosexuel d’étrangers – célébrés à l’étranger – permettait à ces derniers de passer valablement en France des actes tels que la donation entre époux ou l’acquisition de biens communs en qualité de personnes mariées.

Il appartient désormais à la Cour de cassation de trancher et de savoir si la loi pour le mariage pour tous intègre effectivement l’ordre public international. Néanmoins, une réponse positive semble devoir s’imposer. Le rejet du pourvoi et la reconnaissance du mariage homosexuel pour tous les bi-nationaux, quelque soit leur nationalité, apparaît inéluctable.

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